Maroc - Procès Mouad Belghouat: "Comme un coup de fil qui ne vient pas !"

Publié le 7 Janvier 2012

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Les concepteurs du tribunal d’Aïn Sebaa ont raté leur coup.

Faisant l’impasse sur l’acoustique qui sied aux bâtiments de grande fréquentation, ils  ont, en prime, aggravé la situation, en optant pour des matériaux froids et durs comme le marbre, les zelliges et la peinture, rendant quasi nulle toute absorption des sons parasites.

Ceux, nombreux,  qui empruntaient les pas perdus de ce tribunal,  ce mercredi 5 janvier, devaient élever la voix,  pour se faire entendre, au milieu du tintamarre ambiant et des éclats de toute sorte, répercutés sans fin.

On serait crus téléportés dans un hall de gare, un jour de grande affluence. Manquaient le carillon, la voix suave de la speakerine, les sifflets des contrôleurs, les chariots à valises et les vendeurs de sandwiches et on tournait une séquence départ en voyage.

Car de voyage, c’est bien de cela qu’il s’agissait, à cette septième audience du procès Mouad Belghouat.

Un voyage dans une autre dimension.

Louis Caron  disait un jour :

«  Les auteurs de l’injustice s’arrangent toujours pour avoir la force de leur côté. »

J’ajouterais ceci :

« Lorsqu’une procédure judiciaire défie la logique la plus élémentaire, c’est que la justice en est absente et qu’une forfaiture est en cours d’accomplissement ! »

Tout, dans cette affaire,  exsude la machination.

Pas la cabale subtile, intelligente et bien ventilée, mais l'intrigue de mauvaise facture, l'embuscade lourde, grossière,  maladroite et malodorante.

Une police qui refuse la plainte de l’un des protagonistes d’une rixe imaginaire, un certificat médical dont tout porte à croire qu’il est de complaisance, un coma dont aucun hôpital ne peut se souvenir, le comateux qui continue de battre campagne et infliger aux uns et aux autres ses assauts d’agressivité, de menaces et d’invectives, un nez cassé miraculeusement remis d’équerre, des auditions à rallonge et à coulisse, programmées, à dessein, à des heures dignes des grands procès d’assises, des contradictions et des aberrations dans les déclarations du plaignant, une partie civile qui empiète sur les prérogatives imparties à l’accusation, sous l’œil goguenard du Président du tribunal et pour couronner le tout, une liberté provisoire refusée après près de quatre mois d’emprisonnement,  sept comparutions et la présentation de toutes les garanties requises par la loi.

Cerise sur le gâteau, aucun organe de presse, aucune chaîne de télévision, pour couvrir l’un des procès les plus emblématiques de ces dix dernières années et qui oppose un démocrate à un de ces petits suppôts minables de la dictature et de l’absolutisme.

Le tribunal résonnera longtemps, encore, des joutes oratoires entre les avocats de la défense soutenant la thèse du complot contre un rappeur devenu, depuis son arrestation le symbole, malgré lui, de la lutte pour la dignité du peuple marocain et ceux de la partie civile, acharnés jusqu’à la haine.

Lourde erreur que de s’être attaqué à celui qui n’était encore, hier, qu’un chahuteur, adoubé pour la poésie de ses textes et ses rimes assassines, qui n’auront épargné ni les petits ni les grands.

Le procès qui se tient, là et aujourd’hui, est celui du vingt février, ce mouvement citoyen, spontané,  né de la frustration et de la colère de millions d’individus, réduits à l’état de citoyens de deuxième catégorie et privés de leurs droits élémentaires, par une poignée de profiteurs, de corrompus, d’escrocs et de « confiscateurs ».

Mais il est, également, le procès  de tous ces sans-voix, ces exclus, ces pauvres, ces misérables,  épris de justice et d’équité. 

Lourde erreur, disais-je, que penser qu’il suffisait d’embastiller en 2011, comme naguère, un militant pour le neutraliser, le museler et jeter l’effroi chez ses co-protestataires.

Piètre calcul que celui qui consiste à prolonger cette affaire, pour lasser les démocrates et les dissuader de poursuivre leur lutte légitime et le support qu’ils apportent à l’un des leurs.

La justice se sera, une fois de plus,  pesamment fourvoyée, dans un procès qui n’a nullement lieu d’être, comme le dit si bien fatima Elouallous, avant d’ajouter :

- « Le juge n’a pas de décision, il attend un coup de fil qui n’arrive pas ! »

Les minutes du procès foisonnent de détails croustillants où la justice qui s’administre, pourtant, le plus sérieusement du monde,  au nom du chef de l’Etat, se ridiculise à accorder du crédit et de la voix,  à un plaignant agité, incohérent, maintes fois contredit et, à présent, en proie à une amnésie suspecte.

Chacune des audiences marathons, parsemées de multitudes d’interruptions de séances,  déclenche l’hilarité générale et fait le bonheur du public qui se frappe les cuisses de plaisir.

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Et pourtant, Mouad reste en prison !

Et pourtant la rue continue de gronder de colère et martèle :

- « Koulna, koulna haqdine, ghir diouna kamline ! » Tous enragés, tous en prison !

Le parquet se serait grandi à classer l’affaire sans suite, dès réception de la plainte.

Au lieu de quoi Mouad est devenu le héros que l’on sait,  la rue résonnant, sans discontinuer, de son nom, de ses textes, de ses rythmes et son image parsème la toile, jusqu’au fin fond du globe.


Par Salah Elayoubi

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Rédigé par Last Night in Orient

Publié dans #Maroc

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Le Jeudi 12 Janvier 2012 : une journée incroyable, extraordinaire, historique. On se retrouve au tribunal pour connaitre le verdict à propos de l'affaire de Mouad Lhaqed. Le hall du tribunal est<br /> envahi par le 20févristes, les journalistes et également les "surjistes" comme les a nommés Réda Allali. A environ 13h00, le juge prononce le jugement : 4 mois fermes couvrant la détention<br /> préventive pour coups et blessures et acquittement concernant la menace et la préméditation. Dans la confusion générale, la plupart ont cru qu'il s'agissait d'acquittement, moi compris. Tout de<br /> suite, l’explosion de joie des militants, de la famille et des sympathisants. Une liesse. Certains pleurent de soulagement. D'autres montent sur les sièges du tribunal, dont moi, pour crier leur<br /> joie et leur colère. Les slogans fusent. Une manif en plein salle du tribunal. Du jamais vu. Une première. "Vive le peuple", "Le peuple veut libérer la justice", "Nous sommes tous 7aqdine" ...<br /> envahissent la salle du tribunal. La manif continue dans le hall du tribunal. On se salue, on se congratule, on pleure, on rit, on s'embrasse ... une ambiance magique. Nous sortons en criant les<br /> slogans jusqu'à la porte de sortie : "Okacha ... ha 7na jayine" "Okacha ... nous arrivons". On décide d'aller accueillir Mouad à la sortie de la prison. Une marche s'improvise. Un ami en voiture<br /> m'appelle pour me proposer de me conduire. Entassés à quatre derrière et bziz au siège devant qui n'a pas arrêté de parler de ses mésaventures avec le makhzen (impossible de placer un mot avec<br /> lui), nous rejoignons le fameux Okacha. Les militants rejoignent le lieu par petits groupes. Une autre manif est lancée en face de l'énorme portail de la prison. Nous en profitons pour distribuer<br /> les tracts de la prochaine manif aux personnes qui sont là. Beaucoup sont des femmes avec des paniers (qoffa) préparés pour les membres de leurs familles qui sont détenus. J'en profite également<br /> pour coller le tract de la manif partout en face de la prison, même sur le grand portail de la prison et sur trois fourgons de la police qui sortent de cette enceinte. C'est amusant de voir ces<br /> fourgons circuler en arborant notre tract. Les slogans du 20 n'arrêtent pas sous les regards intéressés et étonnés des personnes qui viennent pour les visites des leurs. Vers 15h00 environ, Mouad<br /> nous surprend tous en sortant d'une porte latérale. Mouad le libre est libre. Grosse ruée vers lui des militants, amis, famille, journalistes ... Mouad est entouré, embrassé, secoué, chahuté et<br /> porté par les bras. Trois minutes après sa sortie, le voilà sur l'épaule d'un militant à crier les slogans : "3acha cha3b" dans une manif ! Après les bousculades, les prises de photos et les<br /> embrassades, il s'engouffre dans une voiture pour rentrer chez lui. Devant chez lui, on prépare la fiesta de l'accueil : une estrade et le matériel de sonorisation pour qu'il puisse chanter plus<br /> tard. Les personnes arrivent petit à petit. Mouad n'arrive chez lui que vers 19h30, il était avant chez son frère pour se reposer. Il arrive en voiture. Il est accueilli, d'abord, par une armée des<br /> enfants du quartier qui crient : "3ach cha3b". Ensuite, il est escorté par les militants et accueilli par des filles qui portent des bouquets de fleurs et des feux d’artifice. C’est la liesse. Un<br /> spectacle inouï. Plusieurs militants font la remarque que le roi ne bénéficie jamais d’un tel accueil sincère, désintéressé et passionné. Il rentre chez lui pour recevoir les visites. En même<br /> temps, la foule scande les slogans de liberté et de dignité. Après une heure environ, Mouad descend de chez lui et monte sur l’estrade. L’accueil, encore une fois, est grandiose et superbe. Il<br /> commence par chanter directement ses clips dévastateurs. Beaucoup, surtout les jeunes, les connaissant par cœur, l’accompagnent. Les messages forts de Mouad sont de plus en plus connus et<br /> contribuent fortement à déstabiliser les tabous et les interdits makhzéniens. Le makhzen le sait, mais que peut-il faire ? koulna 7aqdine, gha diwna kamline. Bravo Mouad pour ton courage et ta foi.<br /> Bravo tous les mamfakinch qui n’ont pas lâché et qui ne lâcheront jamais. Bravo le peuple marocain, tes filles et fils sont des libres et resteront libres.
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L
mouad a été trouvé coupable de "coups et blessures" et condamné (comme par hasard) aux quatres mois qu'il a passé en prison. Il a été jugé innocent de l'accusation de préméditation. Cette issue est<br /> une victoire pour tous ceux qui se sont mobilisés dans cette affaire UBUESQUE. Le Pouvoir a voulu un bras de fer, il l'a perdu. Il a non seulement perdu mais il a contribué à faire une ICONE d'un<br /> jeune qui a fait preuve d'irrévérence envers l chef de l'état. Ce verdict est la deuxième mort de l'archaïque "sacralité".
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L
C'est donc dans quelques heures que sera prononcé le verdict dans le procès de Mouad. Etant en déplacement professionnel en dehors de Casabalanca, je ne serai pas en mesure d'être au tribunal. Mais<br /> Maria Karim , Abdullah Abaakil , Larbi.org ? Ghali Bensouda et tous les autres amis du comité de défense y seront nous tiendront au courant et je repercuterai pour tous ceux qui ont l'habitude de<br /> suivre le procès sur cette page Maître Omar M. Bendjelloun , l'un des avocats a promis de me faire une synthèse du verdict. Une chose est certaine : cette affaire a déjà pris la tournure d'une<br /> véritable déroute pour un pouvoir toujours obsédé de sa bonne image à l'international.
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L
‎[LIVEBLOG procès L7a9ed] - "A defaut de pouvoir citer des temoins devant la cour, avocat taliyani est entrain de lire ceux des pv police qui sont jamais venus au tribunal" (v Twitter)
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L
Je suis du pays des Schtroumfs, mais quelque chose me dit que même ici, ça ne me paraît pas légal et je pense même que le président de la cour arrêterait ce délire... parce que cela ressemble bel<br /> et bien à un délire.
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